COCTEAU (Jean).

" Pas de bonne affaire sans amour ". Manuscrit autographe, signé deux fois ; 3 pages in-4 (2 à l'encre, 1 au crayon). Beau texte sur la " Belle et la Bête ". " Depuis que je travaille à la belle et la bête, je découvre que ce cinématographe est un monde pareil à l'enfance et je me vois encore jadis dans une de ces chambres de malade où je découpais des images afin d'en recréer d'autres et de les coller dans des albums. L'atmosphère d'hypnose collective que crée, sans même s'en rendre compte, l'auteur metteur en scène est si forte que le monde machiniste trouve naturel le surnaturel à quoi il collabore et ne s'étonne de rien. Un marchand vole une rose chez une bête... sa fille supporte de vivre chez cette bête. La Bête se transforme en prince... Le machiniste regarde tout cela d'un oeil calme, comme s'il s'agissait d'un drame réaliste. Mieux, il cherche avec nous à le communiquer au reste du monde, à inventer le véhicule qui permette de donner corps à un rêve, à le rendre normal. Je ne croyais pas qu'on puisse à ce point former une équipe capable de penser avec une seule tête et un seul coeur... Un film dénoncera quel que soit le talent et l'argent qui s'y dépensent l'atmosphère du groupe qui le forme. Un studio de brouilles l'alourdira, de bonne entente lui donnera des ailes... Des molécules ne peuvent vivre côte à côte ni se confondre. L'organisme se désagrège. L'opérateur chef rate ses prises. Le traveling saute. L'actrice tombe malade. Le laboratoire raye la pellicule. etc. etc... Voilà un des innombrables phénomènes que provoque le cinématographe, une des énigmes que je cherche à résoudre et que je crois insoluble sans les rayons X de l'amour ". Ce texte comporte quelques variantes avec la version publiée dans Ciné-Revue (N° 5. 1er Février 1946) et reprise dans du " Cinématographe ".